LES AMANTS DE VÉRONE (VERSION RESTAURÉE)

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Contrairement à ce que son titre pourrait laisser penser, le film d’André Cayatte Les Amants de Vérone n’est pas à proprement parler une  adaptation du drame shakespearien. Le cinéaste et son scénariste de renom, Jacques Prévert, utilisent cependant une trame comparable en imaginant une impossible histoire d’amour entre deux jeunes gens qui tiennent des rôles de doublures sur le tournage d’une adaptation de Roméo et Juliette pour le cinéma. Film dans le film, tragédie dans la tragédie, les effets de miroirs sont ici garantis. Mais Prévert et Cayatte ne se sont pas contentés d’illustrer à leur manière le destin tragique des deux amants.

L’action du film se situe en effet en 1948, en Italie, à Venise et Vérone évidemment. C’est une Italie ravagée par les stigmates de la guerre, une Italie en ruines, une Italie où rôdent encore les fantômes du fascisme mussolinien. C’est l’un des aspects les plus intéressants de cette œuvre beaucoup plus sulfureuse qu’il n’y paraît. La famille de la jeune héroïne paye son implication dans le régime déchu avec un père de famille en magistrat révoqué et un cousin fanatique devenu à moitié fou. Dans un palais vénitien qui ne leur appartient plus, ils tentent de sauver les apparences tout en cultivant une nostalgie mortifère.

Un autre intérêt du film réside assurément dans sa genèse. Il est à bien des égards le reflet d’un film tourné à Belle Ile peu de temps auparavant, la même année, à peine commencé mais jamais terminé : La Fleur de l’âge de Marcel Carné. Non seulement, ils partagent le même scénariste en la personne de Jacques Prévert mais également dans la distribution deux jeunes acteurs débutants dont on entendra beaucoup parler par la suite : Anouk Aimée et Serge Reggiani. Sans oublier la même présence dans un second rôle d’une star : Martine Carol. Et, enfin, un musicien lui aussi en commun : Joseph Kosma.

 
Dans le même genre vous pouvez trouver ROMÉO ET JULIETTE (Une des nombreuses adaptations de la pièce de Shakespeare. Paul McCartney devait d'ailleurs interpréter Roméo.) ou encore LE CRIME DE MONSIEUR LANGE (jacques Prévert a également signé de sa plume poétiques les dialogues ciselés de ce film traitant d'une organisation collective et autogérée.).

Les Amants de Vérone, c’est aussi un véritable festival de seconds rôles comme le cinéma français de l’époque les aimait et les mettait en valeur. On a pu croiser ici Armontel et Claude Nicot, Yves Deniaud et Philippe Lemaire, Solange Sicard et Charles Deschamps entre autres, autant de « gueules » et de caractères qui servent à la perfection la verve et le talent de dialoguiste de Jacques Prévert évidemment. Et puis, comment ne pas citer également un véritable complice de ce poète et scénariste ? Pierre Brasseur en amoureux trompé et machiavélique.

Mais la figure la plus originale de cette distribution hors pair, c’est peut-être Louis Salou qui joue ici le rôle du procureur déchu. De son vrai nom Louis Vincent Goulven Salou qui fit ses débuts d’acteur en 1937 dans « Les Nuits blanches de Saint-Pétersbourg » sous la direction de Jean Dréville. On le retrouve ensuite dans des films réalisés par Maurice Tourneur, Christian-Jaque, Richard Pottier, Henri Decoin, Claude Autant-Lara, notamment. Mais il est véritablement entré dans la légende en incarnant le comte de Monteray dans Les Enfants du Paradis de Marcel Carné. Comme souvent sa diction si singulière et son maintien de Hussard font merveilles.

Comme en léger décalage avec le drame qui se joue dans le film, le tournage fut émaillé de quelques péripéties plutôt drolatiques. A l’instar de cet arrêté d’expulsion du territoire italien dont fut l’objet Pierre Brasseur auteur de propos jugés injurieux à l’égard de la ville de Venise. L’acteur termina le tournage encadré en permanence par deux carabiniers !  Quant à Martine Carol, victime de la haine tenace d’un soupirant américain éconduit et armé d’un colt, elle dut changer chaque soir d’hôtel. Le tout n’empêcha pas Serge Reggiani d’écrire à Prévert qu’  « on travaille ici dans une atmosphère extraordinaire comme jamais au cinéma.  Ce n’est pas une question de qualité d’ailleurs, c’est une question de ton.»